Les défis de la couverture sanitaire universelle en Afrique : un ouvrage de synthèse en français October 14, 2021 7.19pm SAST Author :Valery Ridde Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD) L’accès aux soins de santé est au cœur de la volonté déclarée des États du monde de se diriger vers la couverture sanitaire universelle (CSU) en 2030. Depuis 2015, celle-ci est l’un des objectifs de développement durable (ODD). Dans un ouvrage collectif qui vient de paraître, nous avons souhaité rendre accessibles en français (et gratuitement) les plus récentes connaissances scientifiques sur l’état des lieux en la matière en Afrique pour soutenir les réflexions et les débats sur les différentes options pour y parvenir. Où en est-on ? « Vers une couverture sanitaire universelle en 2030 » vient de sortir aux Éditions Science et bien commun et est gratuitement disponible en téléchargement. Éditions Science et bien commun La couverture sanitaire est aujourd’hui loin d’être universelle. Elle est très variable d’un pays à l’autre mais aussi, au sein de chaque pays, d’un groupe de population à l’autre et d’un service de santé à l’autre. Par exemple, plusieurs chapitres du livre montrent comment le Burkina Faso a été en mesure d’améliorer de manière incroyable l’accès aux soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes (pour leur accouchement) par l’intermédiaire d’une politique de suppression du paiement des soins financée par l’État. Cette politique s’est révélée non seulement efficace mais aussi efficiente, et son rapport coût-bénéfice est impressionnant. Mais malgré les progrès remarquables de certains pays en Afrique, il reste encore de nombreux défis et obstacles pour que soient atteints les deux objectifs principaux de la CSU, à savoir l’amélioration de l’accès aux soins de santé de qualité pour tous et la réduction du fardeau financier pour les familles dans un contexte où l’on demande encore aux patients de payer lorsqu’ils se rendent dans un centre de santé. Plusieurs chapitres du livre illustrent ces défis dans de nombreux pays de la région ouest-africaine car les obstacles sont encore nombreux. Des financements publics insuffisants Le premier obstacle, souvent peu abordé, est celui du manque de financement public accordé au secteur de la santé. De même que la France est loin d’atteindre ses engagements internationaux pour l’aide publique au développement, très rares sont les pays en Afrique à approcher de leur objectif de consacrer 15 % de leur budget au secteur de la santé. Par exemple, le Sénégal accorde autant (soit 5 %) de son budget annuel au ministère de la Santé qu’à celui de la Défense où à celui de l’Ordre et de la sécurité publique. Selon l’OMS, un seul pays, le Rwanda, a atteint cet objectif aujourd’hui. De fait, ils restent tous très dépendants de l’aide internationale pour financer leur système de santé. Par exemple, au Rwanda, 49 % des dépenses de santé sont payées par l’aide internationale contre 15 % au Burkina Faso ou 27 % en Guinée. Du fait de l’insuffisance des dépenses publiques en matière de santé des États, les citoyens doivent payer des sommes considérables quand ils doivent se soigner. Ainsi, au Burkina Faso, 40 % des dépenses totales de santé sont supportées par les habitants, qui payent lorsqu’elles se rendent au centre de santé. Or, ce mode de financement est injuste puisque l’on demande aux malades de payer sans tenir compte de leur capacité financière. C’est tout l’intérêt des politiques de suppression de ces paiements au point de service que nous évoquons dans notre ouvrage et qui datent des années 2000. Mais, évidemment, pour que cela puisse fonctionner, il faut que le retrait de ces paiements par les populations soit compensé par un financement public dont le mode de collecte tient compte des enjeux d’équité, c’est-à-dire que les gens devraient payer en fonction de ses capacités. Rares sont les pays qui se sont déjà engagés dans ce mode de financement équitable et solidaire à une échelle nationale. C’est certainement le principal défi des prochaines décennies pour les pays africains car l’argent, contrairement aux idées reçues, ne manque pas toujours. Il suffit de penser à l’évasion fiscale, qui se chiffre en milliards, et aux industries minières internationales présentes en Afrique. Des choix à la fois techniques et idéologiques Le corollaire à cette dépendance à l’aide internationale est l’influence que les experts étrangers peuvent exercer sur le choix des instruments de politique de santé. En effet, pour atteindre la CSU, il existe de multiples choix possibles et les débats sont très nombreux et très anciens. Par exemple, faut-il prélever une partie du salaire ou taxer les populations pour financer un système de santé ? Faut-il demander un paiement au point de service ou le supprimer ? Faut-il payer une prime de performance au personnel de santé ? Couverture-Santé Universelle (CSU) : Un exemple au Ghana/OMS, 22 mars 2019. Ces choix sont techniques mais ils sont aussi souvent enchâssés dans des idéologies et des perspectives propres aux personnes et aux organisations d’aide internationale qui imposent encore très souvent leurs idées, comme c’est le cas de la Banque mondiale et de certains cabinets de consultants. L’ouvrage collectif met en évidence les débats en cours autour de ces différents instruments, mais aussi la permanence et l’échec des outils issus de l’approche du New Public Management (par exemple le financement basé sur les résultats, le paiement direct des soins, etc.) comme c’est le cas en France pour son système de santé. La piste des assurances communautaires professionnelles à grande échelle Il existe cependant des initiatives prometteuses dans la région ouest-africaine dont il faut parler et sur lesquelles il convient de continuer de produire des connaissances scientifiques pour en vérifier la pertinence. Avec plusieurs collègues, nous étudions une innovation relativement récente en Afrique de l’Ouest francophone, celle des assurances communautaires à grande échelle avec un soutien de professionnels pour la gestion. En effet, après plus de 20 ans d’expériences, les recherches ont montré que les mutuelles communautaires organisées au niveau des villages et des communes avec une gestion bénévole n’étaient pas une solution, comme nous l’évoquons dans l’ouvrage. Elles couvrent trop de peu personnes et leur stabilité financière est très précaire. Ainsi, depuis quelques années, des pays comme le Mali et le Sénégal se sont engagés (alors que cela avait